L’Analyse du Cycle de Vie est une méthode d’évaluation de l’ensemble des impacts environnementaux d’un projet. Sa mise en œuvre appliquée à un ouvrage géotechnique repose sur la comparaison de différentes solutions techniques afin d’améliorer son éco-conception. Cette méthode considère l’ensemble de la durée de vie de l’ouvrage, depuis sa construction, sa maintenance et son exploitation jusqu’à sa déconstruction. 
L’article présente une synthèse des travaux menés par les équipes de l’Ecole nationale des ponts et chaussées (ENCP) et d’Antea Group sur l’ACV appliquée à un ouvrage géotechnique, dans le cadre des projets scientifiques PEO-GEO, ASIRI+ et MINERVE, et présentés aux Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur - Poitiers 2024.

« Du berceau à sa tombe », analyser les impacts environnementaux d’un ouvrage géotechnique pour améliorer son éco-conception

L'ambition d'une neutralité carbone en France en 2050 doit amener tous les acteurs dans le bâtiment et les travaux publics à s’intéresser aux impacts environnementaux de leurs projets. La recherche de solutions techniques vertueuses devient un élément important dans un projet de construction. Les ouvrages géotechniques, éléments constituants des projets et réalisés principalement à partir de bétons et d’acier fortement émetteurs de gaz à effet de serre, doivent donc être intégrés à cet objectif.

L’ACV est une méthode complète qui va au-delà de l’évaluation de l’empreinte carbone d’un ouvrage géotechnique (fondations, murs et écrans de soutènement, traitement de sol…). Elle permet de prendre en compte l’ensemble des impacts environnementaux de l’ouvrage sur toute sa durée de vie. La minimisation des impacts passe en premier lieu par un dimensionnement optimisé de la construction mais également par le choix de solutions techniques et de méthodes constructives plus vertueuses.

 

La méthode d’Analyse du Cycle de Vie

L'ACV est un outil analytique dont la fonction est l'amélioration des processus productifs dans une démarche d'éco-conception. Elle est menée étape par étape.

Son principe repose sur la définition des objectifs et du système (étape 1) :

  • L’unité fonctionnelle déterminée représente la fonction du système modélisé. Tous les flux de matière, d'énergie et les impacts y sont rapportés. Le choix de l'unité fonctionnelle est crucial car il influe sur le résultat de l'étude.
  • La modélisation du système prend généralement en considération les processus impliqués dans les différentes étapes du cycle de vie de l’ouvrage : 
    • extraction des matériaux primaires, énergie requise par la fabrication des matières premières ;
    • mise à disposition des infrastructures de transformation, des machines et du transport ; 
    • construction de l’ouvrage ;
    • utilisation, entretien et maintenance de l’ouvrage ;
    • déconstruction avec la génération de déchets, leur traitement et leur valorisation : réutilisation, recyclage ou valorisation énergétique.

Pour différents scénarios de production d'un bien, les flux de matière et d'énergie émis vers et extraits de l'environnement, ainsi que les émissions polluantes dans l'eau, l'air et le sol sont estimés au cours de l'inventaire des matériaux et matières premières (étape 2).

Sur la base de ces flux, les impacts environnementaux sont analysés (étape 3) pour différentes catégories ou domaines à protéger tels que le climat, la santé humaine, les écosystèmes…

A chaque phase de l'analyse, l'interprétation permet de discuter les hypothèses et les résultats, puis de proposer des recommandations pour réduire les impacts environnementaux.

La conception est une phase essentielle pour minimiser les impacts environnementaux d’un projet d’ouvrage. Il est donc nécessaire d’intégrer l’ACV dès le démarrage des études d’avant-projet, voire des études préliminaires. 

Limites et potentialités d'une ACV

En tant qu’outil d’évaluation environnementale, l’ACV est une méthode globale permettant de comparer des scénarios entre eux en prenant en compte l’ensemble des impacts environnementaux de l’ouvrage sur toute sa durée de vie. Pour conserver la transparence d’une ACV, les hypothèses retenues doivent être clairement explicitées et testées dans le cadre d’études de sensibilité. Il s’agit en particulier des choix effectués lors de la délimitation du système ou en matière d’allocation, des valeurs des paramètres clés…

La dimension multicritère de la méthode, très intéressante en terme analytique, peut se révéler complexe lorsqu’il s’agit d’évaluer les impacts environnementaux de différents scénarios en phase de conception d’un ouvrage pour choisir la solution technique la plus performante au niveau environnemental. Cette étape nécessite une simplification de l’information pour permettre une analyse pertinente des scénarios. Cette schématisation repose également souvent sur des pondérations qu’il est nécessaire de préciser dans les calculs d’impacts réalisés.

L’ACV est une méthode en plein développement, tout particulièrement en matière de bases de données d’inventaire et de méthode d’évaluation des impacts environnementaux. Cela implique des innovations constantes d’indicateurs d’impact, de prise en compte des variabilités spatiales et temporelles, de territorialisation des flux ou des facteurs de caractérisation, entraînant des mises à jour fréquentes

Les aspects économiques et sociaux ne sont pas évalués et peuvent faire l’objet d’une analyse complémentaire, sous réserve d’une démarche cohérente avec l’évaluation environnementale.

Spécificités des ouvrages géotechniques

Les premières ACV réalisées sur des ouvrages géotechniques ont permis de faire un premier retour d’expérience : 

  • Contrairement aux biens manufacturés qui peuvent être fabriqués en grand nombre, chaque ouvrage de génie civil constitue plus ou moins un prototype unique.
  • La durée de vie de ces ouvrages est longue, voire très longue (≥ 100 ans). Les sujets de durabilité et maintenance peuvent représenter une part importante des impacts environnementaux.
  • Une partie des ouvrages géotechniques ne peut pas être déconstruite en fin de vie de la structure supportée. Tel est par exemple le cas d’un pieu en béton moulé dans le sol.
  • Les ouvrages et travaux requis (injection, traitement de sol) pour les phases provisoires (soutènement/revêtement) peuvent avoir un impact important. 

Il est souvent délicat de définir l’unité fonctionnelle car la limite entre les ouvrages géotechniques et la structure supportée n’est pas nécessairement pertinente. Il est donc nécessaire d’avoir une vision globale de la conception, au niveau de l’unité fonctionnelle pour éviter des majorations des impacts environnementaux de la structure non optimisée (plus de béton ou plus d’acier).

Exemple d'une ACV sur l'étude d'un mur de soutènement

Le mur de soutènement à l’étude, d'une hauteur hors sol de 4,5 mètres, permet de construire une plateforme à l'amont. Trois solutions techniques sont envisageables : 

En considérant que le mur de soutènement est associé à l’exploitation d’un processus industriel, la durée de vie de l’ouvrage a été considérée de 30 ans. Au-delà de cette période, l’ouvrage est déconstruit. Les calculs sont réalisés pour une unité fonctionnelle de 1 mètre linéaire de mur. Dans cet exemple, la maintenance du mur n’est pas requise.

Dans le cadre de l’évaluation de l’empreinte carbone (GES), les calculs sont menés en considérant un béton standard et des aciers neufs, hypothèses conservatrices. Le mur en gabion, moins gourmand en béton et acier, nécessite beaucoup moins de matériaux impactant comme le béton. L’utilisation d’un béton très bas carbone modifierait bien évidemment les résultats de l’analyse. Le score obtenu par l’ACV est donné par le logiciel Umberto. Une valeur faible correspond à de moindres impacts environnementaux.

Les 3 solutions techniques sont comparées pour chacune des 16 catégories d’impact indiquées dans le graphique ci-après, sur la base d’un score environnemental sur le cycle de vie, donné ici en relatif. Le schéma permet à la fois de mieux visualiser la répartition des impacts de chaque solution technique et d’aller au-delà du score global de l’ACV. Une note basse qualifie des impacts environnementaux plus faibles. Si le mur en gabion présente un faible score global en termes d’émissions de GES, le graphique fait ressortir l’importance de son impact sur l’écotoxicité aquatique. Cet approfondissement de l’ACV apporte un éclairage complémentaire à prendre en compte dans le choix de la solution technique la plus adaptée au contexte du projet de construction.

Conclusions

La méthode d’Analyse du Cycle de Vie est relativement complexe et donc assez difficile à mettre en œuvre dès la phase initiale de conception des ouvrages de génie civil et géotechniques. Néanmoins, les premières applications réalisées pour des ouvrages géotechniques (murs de soutènement, pont, amélioration de sol par inclusions rigides) ont mis en évidence le grand intérêt de l’ACV pour la vision globale de la vie de l’ouvrage qu’elle requière et pour l’amélioration de son éco-conception.

Des approches un peu simplifiées sont à développer pour inscrire pleinement l’ACV dans le processus d’éco-conception dès les phases amont des projets : études préliminaires, esquisse, études d’avant-projet…

Remerciements

Ces travaux ont été soutenus par la Fondation FEREC dans le cadre de son appel à projet de 2021 (projet PEO-GEO : Performance Environnementale des Ouvrages GEOtechniques) et par Bpifrance et l’IREX dans le cadre du projet national Minerve (PIA4).

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